Idée reçue #23 : Non, le prix de l’essence n’a pas augmenté !

Ivan Best, éditorialiste à La Tribune : 
Si les consommateurs se plaignent du carburant trop cher, son prix relatif a, en fait, baissé : avec une heure de Smic, on peut aujourd’hui acheter 6 litres de super, contre 3,4 litres en 1970. Mais entre-temps, les déplacements contraints se sont multipliés et l’essence est devenue un bien de première nécessité.

« S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche… » Transposée en 2011, que donnerait la célèbre saillie de Marie-Antoinette ? Sans doute, une formule du genre : « si l’essence est trop chère, qu’ils se déplacent en vélo ! » Car la grogne, voire la colère, des consommateurs de 2011 devant la hausse du prix de l’essence, s’apparente à l’évidence à celle des Français de 1789 face à la pénurie de pain. Trop chère l’essence ? Avec 1,52 euro le litre de super 95, en moyenne, selon les derniers relevés disponibles, et parfois plus de 1,80 euro à Paris, les records sont battus. Dire qu’en 2000, le gouvernement Jospin admettait l’existence d’un choc pétrolier, parce que le litre de super était passé au-dessus de 1 euro… Le plein à 100 euros n’est plus un cauchemar d’automobiliste, mais une réalité. Songeons à ce que coûtait 1 litre de super avant le premier choc pétrolier, en 1970 : 1,02 franc, soit 15 centimes d’euro. Les prix ont donc été multipliés par plus de 10, sur la période. Pourtant, il faut relativiser cette envolée. Bien évidemment, les prix de tous les produits ont augmenté, en l’espace d’une quarantaine d’années. Les salaires, aussi. Le Smic horaire, qui atteint aujourd’hui 9 euros valait en 1970… 0,52 euro. Autrement dit, avec une heure de Smic, on achète aujourd’hui presque 6 litres d’essence super, contre 3,4 litres en 1970. En termes relatifs, par rapport à l’évolution du prix d’une heure de travail, celui de l’essence a donc diminué.

Les consommateurs auraient-ils donc tort de se plaindre ? L’évolution des déplacements et des modes de transport explique leur grogne. Voilà quarante ans, la voiture restait l’apanage des plus riches, ou tout au moins des classes moyennes bien installées. On comptait dans l’Hexagone à peine plus de 10 millions de véhicules particuliers. Aujourd’hui, c’est trois fois plus. En 1980, 30% des foyers ne possédaient toujours pas d’auto. Les Français les plus modestes étaient encore, souvent, dans ce cas. En zone rurale, on se contentait d’une Mobylette.

Aujourd’hui, tout le monde a sa voiture. Les plus pauvres optent simplement pour une occasion. Le refus de l’équipement automobile ne se rencontre plus que chez les habitants des grandes villes ou certaines personnes âgées (au total, 16,8% des ménages sont non équipés). Mieux : hors des grandes villes, on possède plusieurs voitures. A la campagne ou dans les zones faiblement urbanisées, 68% des personnes appartiennent à un ménage comptant autant de voitures que d’adultes, souligne l’Insee… Cette frénésie automobile ne tient pas à une passion soudaine des Français ni à leur bon plaisir. Si on achète une voiture, c’est parce qu’elle devient indispensable. Notamment pour se rendre sur son lieu de travail. Il suffit, pour s’en persuader, de constater la densité croissante du trafic, le matin et le soir, dans les départements ruraux. Sans parler des bouchons aux abords de villes moyennes. Utiliser les transports en commun ? Hors des grandes agglomérations, c’est mission impossible. Quand ils sont disponibles, les temps de trajet sont exorbitants. Alors les Français roulent, roulent. Toujours plus. Dans les zones rurales ou faiblement urbanisées, selon la terminologie de l’Insee, la distance domicile-travail a bondi de 26% entre 1994 et 2008 ! Quant à la distance moyenne entre le lieu de résidence et les commerces, elle a crû de 29%…

Une évolution que l’on pourrait qualifier de naturelle, mais également encouragée par le pouvoir politique. Ainsi, les chômeurs sont incités à accepter un job de plus en plus éloigné de leur domicile. L’offre valable d’emploi, telle que définie par le gouvernement et l’Unedic – c’est-à-dire une offre qu’un chômeur ne peut refuser – retient une distance domicile-travail toujours plus importante : 50 kilomètres, aujourd’hui. Dans un même mouvement, l’exécutif avait prévu d’instaurer une taxe carbone – finalement invalidée par le Conseil constitutionnel – destinée à décourager cette utilisation des énergies polluantes…

Bref, aujourd’hui, l’essence est devenue, à l’instar du pain en 1789, un bien de première nécessité. Elle est aussi indispensable que le téléphone portable, désormais assorti d’un tarif social. Pourtant, le gouvernement exclut tout geste en faveur des automobilistes. Pas question de revenir à la TIPP flottante, qui empêchait l’État d’accroître ses recettes avec la hausse des carburants. Il est vrai que le gain pour le fisc est aujourd’hui faible, voire nul : contrairement à une idée couramment admise, les taxes sur l’essence sont fixes (la TIPP est de 0,61 euro par litre de super dans la plupart des régions, quel que soit le prix du carburant hors taxe). Seules les recettes de TVA augmentent avec le tarif du carburant. Et la baisse de la consommation annule ce surplus de recettes fiscales…

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