Economie, prestige, étalement urbain… sur tous les fronts, l’automobile perd ses avantages et des pratiques nouvelles de transport s’élaborent. Plutôt que de s’obstiner à maintenir un modèle dépassé, les dirigeants devraient soutenir les nouvelles voies de transport, qui feront l’économie de demain
Selon Jean-Claude Marcus, « l’automobile en a encore pour longtemps car on ne peut simultanément réduire les distances domicile-travail, maîtriser les heures de pointe et faciliter les échanges de domiciles, d’emplois et de formation ». Delphine Batho, ministre de l’Ecologie, déclare de même : « Tels que les modes de vie sont organisés aujourd’hui, je crois difficile de se défaire du véhicule individuel ».
Il est certain que le règne de la voiture ne va pas s’interrompre brutalement car peu d’initiatives sont prises pour enrayer l’étalement urbain, mais bien des observations permettent de penser que son déclin progressif n’est pas une vue de l’esprit. De nombreuses tendances, en effet, freinent ou vont freiner l’utilisation intensive de la voiture, ralentir le renouvellement du parc et même rendre moins nécessaire la propriété individuelle d’une voiture, et surtout d’une deuxième voiture.
Depuis une vingtaine d’années, l’offre alternative à la voiture s’est considérablement améliorée dans les grandes agglomérations, et des contraintes y ont été apportées à la circulation automobile. Les plans de déplacements urbains (PDU), rendus obligatoires par la loi Lepage de 1995 dans les agglomérations de plus de 300 000 habitants, puis les plans de déplacements d’entreprises ont joué un rôle fondamental.
Le tramway a été réintroduit avec un succès spectaculaire, après Nantes (1984) et Grenoble (1987), dans une vingtaine de villes ; des couloirs réservés et des priorités aux carrefours ont facilité la circulation des bus et de nombreux aménagements pour piétons et cyclistes ont été réalisés, réduisant ainsi l’espace accessible à la voiture ; l’usage du vélo a été stimulé par l’offre en libre service ; les services périurbains d’autocar ont été modernisés ; les services TER se sont rapidement développés depuis 2002, date à laquelle leur gestion a été confiée aux conseils régionaux par la loi SRU, et leur fréquentation a augmenté de près de 50% (mais on partait d’un niveau très bas).
Le trafic automobile diminue dans les grandes villes
D’autres facteurs ont découragé l’usage de la voiture : l’allongement des distances domicile-travail, la congestion croissante des grandes voiries urbaines, les difficultés de stationnement dans les zones denses, le renforcement des mesures de sécurité routière (la vitesse moyenne a chuté de 10 km/h depuis 2002), la hausse récente du prix des carburants.
Comme on pouvait l’espérer, le trafic automobile a diminué dans les centres-villes : dès 2006, des enquêtes menées à Lyon et Lille ont révélé un recul de la part modale de la voiture (de 9% depuis 1995 à Lyon). A Grenoble, le nombre des voitures présente dans le centre a diminué de 40 000, la part modale de la voiture n’est plus que de 47%. A Paris, le trafic a diminué de 20% en dix ans. Le kilométrage annuel moyen de l’automobiliste s’est réduit d’environ 1 000 km. Cette tendance générale n’a eu jusqu’à présent qu’un effet marginal sur les ventes de voitures, car les changements de comportement se font lentement, mais elle pourrait s’accentuer.
1 – On peut imaginer que, dans un avenir proche, tous les atouts des alternatives à la voiture seront exploités plus systématiquement et réduiront encore la dépendance automobile. Dans les grandes villes suisses, le taux de motorisation des ménages ne dépasse pas 50% : en France, une telle situation n’est rencontrée qu’à Paris car, ailleurs, les transports collectifs sont encore sous-développés, mais elle pourrait se généraliser.
Les PDU, comme le réclame la FNAUT, pourraient être rendus obligatoires dans toutes les agglomérations de 20 000 à 100 000 habitants.
Le tramway pourrait être réintroduit dans des agglomérations moyennes (moins de 300 000 habitants), c’est déjà le cas au Mans, à Brest, à Dijon et bientôt Besançon. Le tram-train pourrait être davantage utilisé pour la desserte des zones périurbaines (il va entrer en service sur les lignes de l’Ouest lyonnais et sur la ligne Nantes-Châteaubriant).
En milieu urbain, la moitié des déplacements automobiles se font sur moins de 3 km, l’apparition sur le marché du vélo à assistance électrique élargit le créneau de pertinence du vélo, et l’organisation du ramassage scolaire non motorisé (pédibus, vélo-bus) peut éviter d’aller au travail en voiture après avoir déposé les enfants à l’école.
Le transport à la demande et le covoiturage se développent peu à peu dans les zones périurbaines et rurales. Le cadencement des trains TER va sans doute se généraliser suivant l’exemple des pays européens voisins de la France où il est en place depuis des années, de même que la construction de parkings-relais auprès des gares périurbaines. L’ouverture du TER à la concurrence, dans le cadre de délégations de service public, permettrait d’en relancer la fréquentation, suivant l’exemple allemand.
L’écoconduite permet d’économiser le carburant, mais limite aussi l’usure du moteur, des plaquettes de frein et des pneus, elle permet de retarder l’achat d’un nouveau véhicule.
L’autopartage est une formule très prometteuse car elle autorise un accès occasionnel à la voiture sans les contraintes de la possession personnelle d’une voiture. Une voiture autopartagée remplace en moyenne dix voitures« normales ». A l’initiative de France Autopartage, des coopératives d’autopartage sont mises en place même dans de petites villes. En Suisse, on trouve près de 100 000 autopartageurs pour une population comparable à la seule population de la région Rhône-Alpes. L’autopartage, c’est la voiture cool : pas besoin de garage ou de place de parking, pas besoin de s’occuper de l’entretien ou des réparations.
Le péage urbain pourrait être introduit en France comme il l’a déjà été dans les pays voisins sous des formes diverses, et contribuer lui aussi à un moindre usage de la voiture.
Il en est de même du développement du télétravail, des livraisons à domicile et du commerce en ligne, du renforcement du commerce de proximité au détriment des hypermarchés, ou encore d’une baisse des droits de mutation qui augmenterait la fluidité du marché immobilier et faciliterait le rapprochement domicile-lieu de travail.
Les vitesses limites autorisées pourraient être abaissées de 10 km/h sur les autoroutes (ce qui placerait la France dans la moyenne européenne) et ramenées à 70 km/h sur les grandes voiries urbaines (c’est le principe du chrono-aménagement consistant à ralentir volontairement la voiture à la fois pour réduire la consommation d’énergie et les nuisances, et pour donner un « avantage compétitif » au transport collectif périurbain).
Contrairement à une idée reçue, le TGV devient peu à peu un concurrent de la voiture sur les distances moyennes, par exemple entre Lyon et Marseille, au même titre que les TER. Le développement du TER à grande vitesse, sur le modèle du TERGV de la région Nord – Pas-de-Calais, sera possible sur le littoral méditerranéen entre Narbonne et la Côte d’Azur.
Le transport collectif est plus économique que la voiture
2 – Malgré l’apparition de tarifs très avantageux pour l’usager, la tarification du transport collectif de proximité n’a beaucoup joué pour attirer l’automobiliste, surtout sensible à la qualité de service. Comme l’a montré l’économiste Jean-Marie Beauvais dans une étude commandée par la FNAUT (voir FNAUT Infos n°203, avril 2012), la dépense moyenne par voyageur.kilomètre était, en 2008, de 13,1 centimes en transport urbain de province, de 10,6 centimes en Ile-de-France et de 7,2 centimes en TER, soit une dépense moyenne de 9,1 centimes en transport collectif, alors que le coût marginal d’usage de la voiture (carburant + stationnement + péages) était de 8,3 centimes et le coût complet (coût marginal + entretien et réparations + achat du véhicule + assurance) de 25,1 centimes. L’avantage économique du transport collectif pour le consommateur, et surtout pour le salarié qui, depuis 2009, bénéficie de la prime transport sur l’ensemble du territoire, est évident mais il n’a pas sensiblement évolué ces dernières années.
Cependant cet avantage sera certainement ressenti plus clairement à l’avenir par l’automobiliste si on lui apprend à comparer au coût du transport collectif non pas le coût marginal de la voiture mais son coût complet, trois plus élevé ; si le pouvoir d’achat s’érode avec la précarisation de l’emploi, le chômage, la baisse du niveau des retraites ; et si la hausse, très probable et dont la perspective est déjà intégrée par le public, du prix du pétrole se produit, hausse que l’Etat, sauf à se ruiner, ne pourra pas compenser indéfiniment par une baisse démagogique des taxes sur les carburants…
De plus en plus de ménages éprouvent des difficultés à financer les dépenses liées à leur voiture. Déjà le BIPE note que bien des automobilistes renoncent à utiliser leur voiture : en 2010, 76% d’entre eux utilisaient leur véhicule tous les jours ; en 2011, seulement 72%.
3 – Les conséquences catastrophiques de l’étalement urbain amèneront sans doute les pouvoirs publics à favoriser une densification de l’habitat dans les zones déjà urbanisées, ainsi qu’une plus grande mixité habitat-activités, afin de réduire la longueur des déplacements (domicile-travail/étude/commerces et services). Il en résultera un moindre usage de la voiture.
On commence à densifier l’habitat et les activités autour des gares urbaines, et le long des axes de transport collectif lourd : c’est le principe des « contrats d’axes » (Grenoble, Dijon) qui associent création d’un tramway et construction d’immeubles implantés à proximité immédiate. Il est aussi possible de rouvrir des voies ferrées qui irriguent des zones périurbaines, à l’image de Nantes-Châteaubriant, et de densifier l’habitat autour des gares (voir FNAUT Infos n°183, avril 2010).
Une recherche récente, proposée par Jean-Marie Beauvais et la FNAUT, et financée par l’ADEME, a permis de comparer, toutes choses égales par ailleurs, les pratiques de déplacement d’un groupe de ménages ayant déménagé d’une zone périphérique de Tours vers une zone centrale : elle a mis en évidence une stabilité du nombre des déplacements quotidiens et une forte baisse de leur longueur moyenne (de 9 km à 6 km), surtout pour les achats, et du kilométrage effectué en voiture (-38%), surtout au bénéfice de la marche (voir FNAUT Infos n°196, juillet 2011).
La voiture n’est plus valorisante
4 – L’image valorisante de la voiture, symbole de liberté et signe de réussite sociale, s’est altérée au sein de la population. La voiture est concurrencée par de nouveaux types de consommation (informatique) et ses effets environnementaux négatifs sont mieux perçus.
Cette évolution est particulièrement perceptible chez les jeunes qui se détournent peu à peu de la voiture. Dans les grandes agglomérations francaises, la proportion des 18-25 ans titulaires du permis de conduire, qui avait augmenté de 62 % à 68 % entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990, est retombée à 61 % à la fin des années 2000 (source : CERTU). Et, en raison de la crise, le taux de motorisation de ces jeunes a régressé de 23% à 18%. La plupart des voitures neuves sont achetées aujourd’hui par des automobilistes de plus de 50 ans.
D’après l’association suisse Transport et Environnement (ATE), l’évolution est analogue en Suisse et en Allemagne : « 30% des 18-25 ans, jeunes citadins et plus encore jeunes femmes, ont aujourd’hui un rapport plus rationnel à l’automobile ; la possession du permis de conduire et surtout celle d’un véhicule ne sont plus un must ; ce n’est pas un renoncement délibéré pour des motifs écologiques ou imposé par le manque de moyens financiers, mais plutôt de l’indifférence ; la jeune génération associe l’innovation et le progrès à d’autres thèmes, internet ou Smartphone ». Aux USA, selon une étude de l’université du Michigan, le pourcentage des Américains possesseurs du permis de conduire a diminué dans toutes les classes d’âge au-dessous de 40 ans depuis 30 ans. Selon les auteurs de l’étude, c’est une conséquence de l’utilisation d’internet.
Ainsi l’usage de la voiture, et même le besoin de motorisation individuelle, pourraient, à l’avenir, diminuer sensiblement en raison de l’amélioration de l’offre alternative à la voiture, des contraintes environnementales (aggravation de la pollution de l’air par les particules fines, évolution climatique) ou économiques (prix du pétrole, érosion du pouvoir d’achat) et de l’évolution progressive des formes urbaines et des modes de vie.
L’industrie automobile ne peut donc que régresser, progressivement mais durablement. Les décideurs politiques, toujours persuadés qu’automobile est synonyme de modernité et de prospérité, ont bien du mal à l’admettre. Ainsi le plan Montebourg de sauvetage de la filière automobile apparaît comme anachronique. Il a appréhendé la crise de cette filière comme une simple crise d’adaptation énergétique et environnementale de la production, alors qu’il s’agit plus fondamentalement d’une crise structurelle de surproduction.
Comme le rappelait déjà Stéphane Lauer (Le Monde du 27-12-2008) : « on croit à tort qu’on vit aujourd’hui une nième crise et que tout rentrera dans l’ordre une fois la bourrasque passée. C’est une crise de surproduction qui éclate aujourd’hui. Ces dernières années déjà, pour faire tourner les usines à tout prix, les constructeurs ont multiplié les ristournes aux clients ou les ventes non rentables aux sociétés de location. La majorité des constructeurs gagne désormais davantage avec la revente des pièces détachées et le commerce des voitures d’occasion qu’avec les véhicules flambants neufs qui sortent des usines ».
C’est donc un ambitieux plan de reconversion progressive des constructeurs et équipementiers automobiles vers des activités d’avenir telles que les énergies renouvelables qu’il fallait lancer, une perspective qui n’a rien d’utopique.
Sous l’impulsion de la CFDT, les salariés de l’équipementier automobile Bosch à Vénissieux, près de Lyon, ont préservé l’emploi grâce à la reconversion de leur site, menacé de fermeture, de la fabrication de pièces de rechange pour véhicules diesel à celle de panneaux photovoltaïques : 50 millions d’euros ont été investis par la direction dans cette opération ; 160 salariés volontaires ont été formés à l’usine Bosch d’Arnstadt, en Allemagne tandis que 80 continuent la production de pièces automobiles. Le savoir-faire du personnel en matière de production industrielle, de maintenance et de logistique, a joué un rôle décisif. L’usine Bosch de Mondeville (Calvados) suit un processus analogue : une commission de réindustrialisation étudie une reconversion dans les véhicules électriques (source : CFDT Magazine, janvier 2012).
Mais au lieu d’anticiper sur le déclin inéluctable des ventes automobiles et de préparer la reconversion de la filière, le plan Montebourg s’est focalisé sur la voiture électrique comme s’il s’agissait de la solution miracle alors que son créneau est étroit (les flottes captives urbaines) : l’Etat va donc subventionner les constructeurs pour qu’ils la mettent au point, puis les consommateurs pour qu’ils l’achètent…
Source : reporterre.net